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Coup de cieux

Calum Graham

Jazz — le 16 novembre au Sunset/Sunside

Au Canada, la guitare est le sport national numéro 1, n’en déplaise aux taquineurs de crosse. On ne compte plus les virtuoses qui martèlent leurs caisses de résonance comme s’il s’agissait de fûts ou qui jouent leurs guitares non pas debout, mais sur les genoux, une façon de dire qu'ils sont libres, vous comprenez ? Pas question de gratter trois accords comme des "niaiseux", la musique s’écoute tout autant qu’elle donne à voir. Showtime. La preuve avec Calum Graham, un "pourri de talent" comme disent nos cousins acadiens. A tout juste 24 ans, le guitariste de High River, en Alberta, n’a plus rien d’une révélation : il a déjà sorti cinq albums, s’est produit aux Jeux Olympiques de Vancouver et de Londres, a glané nombre d’awards (lauréat de divers tremplins de guitare outre-Atlantique). Un phénomène du net, dont les vidéos explosent les compteurs. Ce Midas qui s’ignore transforme tout ce qu’il joue en or.
Comme beaucoup d’artistes de l’écurie CandyRat Records, Calum est une virtuose de la guitare fingerstyle (joué aux doigts donc, mais avec les dix), un funambule des sauts de cordes et des techniques de jeu percussives. Comme eux, il tape sur du palissandre et ça lui va bien. Influencé par Don Ross, Michael Hedges et Tommy Emmanuel, jeune frère d’armes d’Andy McKee et Antoine Dufour, l’étalon aurait pu céder aux mitrailles de notes et aux doigtés de dingos. Jeux de mains, jeux de Canadiens, dit-on souvent. Pas question d’endosser un smoking de prestidigitateur, il a choisi les habits du musicien-compositeur. 2013, l’année de la consécration. Calum Graham sort deux opus, l’un en duo acoustique avec le mentor Don Ross (album 12:34, enregistré dans les célèbres studios Metalworks de Toronto), l’autre instrumental, en solo (Phoenix Rising, première signature chez CandyRat). Chez ce Graham-là, les guitares ont beau être en bois, il faut que ça larsène. Pas du style Canadair à décibels, mais kid à la cool adepte des douces mélodies et des digressions en tous genres. Ses résonances sont bien plus profondes que celles de la caisse de ses guitares. Calum n’allume pas, il illustre. Une gâchette qui ne flingue pas à tout-va, contrairement à beaucoup de ses compagnons du bourrage papier à musique. C’est vrai, il reprend "Billie Jean" à la guitare-harpe, instrument de torture s’il en est, mais chez lui, les jeux de cordes magnifient le gimmick du roi de la pop, sa voix feutrée, un tantinet éraillée, délicieusement déchirée, et son groove sans esbroufe traçant un subtil Moonwalk mid-tempo.
Lorgner d’autres pistes, d’autres gammes, se réinventer malgré le succès naissant. En 2016, Calum Graham sort son cinquième et dernier album, le bien nommé Tabula Rasa, dans lequel il fait en effet table rase du passé en sortant la voix. Adepte des mélopées soul, des refrains parfois pop façon Bryan Adams ("Ghost", "Easy to Love"), des ballades acoustiques à la John Butler ou des complaintes blues qui sentent bon la tourbe et Robert Johnson, le musicien joue avec brio des cordes vocales. Sensibles, toujours. Evidemment, les morceaux masterclass ne manquent pas ("The Nomad", "Tabula Rasa", "Point of Contact" avec Antoine Dufour, autre Géo Trouvetou de la guitare) : cordes tirées, frappées, slappées, pincées, dentelles d’harmoniques, percussions sur caisse et autres effets pyrotechniques… Les partitions sont apocryphes, révélées dans les mystérieux codex de Calum.

—  Milo Green

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