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Dans les coulisses de l'ONJ

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L’ONJ fête ses trente ans… l’occasion de demander quelques bons, ou pas, souvenirs à certains de ses directeurs artistiques.

La magie du hasard
"Début décembre 1985, l'orchestre est constitué sauf que, pour des raisons diverses, je n'ai toujours pas de batteur et la première répétition est fixée au 2 janvier 1986. Le temps presse ! Il se trouve que je joue au Sunset avec Marc Ducret, Michel Benita, Andy Emler, François Laizeau. A la fin du set, un grand black vient me voir en me tendant sa carte : "J'aime beaucoup votre musique, je suis batteur, je compte m'installer à Paris, si un jour vous avez besoin de quelqu'un..." Quelques jours plus tard, Marc et Michel me disent : "Tu te souviens du grand black, le batteur, l'autre soir au Sunset ? Il est venu faire le bœuf hier avec nous, il joue terrible !" J’ai composé son numéro et lui ai demandé s'il accepterait de faire partie de l'ONJ. Il est parti d'un grand éclat de rire, qui résonne encore dans mon oreille, et m'a dit oui, bien sûr. Le 2 janvier, Aaron était là, en avance, batterie installée, souriant. J'avais engagé un batteur - et quel batteur ! - que je n'avais jamais entendu, dont je ne savais rien de sa façon de jouer."
François Jeanneau (1986)

Jour de fête
"14 juillet 1989, jour du bicentenaire de la Révolution française, place de la Bastille, en même temps que l'inauguration de l'Opéra Bastille. Invité de l'ONJ : Quincy Jones ! A la répétition, l'après-midi, il a commencé par étudier les scores en silence. Puis après quelques minutes, je lui ai proposé plutôt d'écouter jouer l'orchestre. Là, il a lâché les scores et s'est mis à danser devant l'orchestre, Le soir, il a dansé à nouveau avec nous, mais devant des milliers de spectateurs !"
Antoine Hervé (1987-1989)

Name dropping
Premier mandat. "Tokyo 1991. Deux fois 14000 personnes, autant d’éventails, pour nous écouter au "Live Under the Sky Festival", arène immense mais loges si exiguës que l’on ne pouvait que se frotter comme dans le métro à quelques-uns de nos maîtres, Wayne Shorter, Milton Nascimento, Herbie Hancock… On en avait "les mains moites et les pieds poites", d’après Francis Marmande."
Deuxième mandat. "Paris 2004. Souvenirs grands à la Cité de la Musique, mars 2004, avec pour invités l’Ars Nova de Philippe Nahon, Jean-Pierre Drouet, Daunik Lazro, Élise Caron sonorisée comme tombant du ciel, les loges de Boulez, et puis en novembre, un concert brûlant d’urgence et d’exactitude à la Maroquinerie… Moralité, hum hum... Jamais deux sans trois ?"
Claude Barthélemy (directeur artistique 1989-1991 et 2002-2005)

Poison d’avril
"Le 1er avril 1992, mais, c'était peut-être le 2, le ministre de la Culture nous convie pour un dîner rue de Valois. Devant le Tout-Paris culturel, il annonce : "Chers amis du Jazz en général et de l'ONJ en particulier, je suis fier et heureux de vous annoncer trois décisions importantes :
- Dès demain, le budget de l'Association pour le Jazz en Orchestre National sera multiplié par 25. A titre de comparaison, cette augmentation nécessaire et justifiée met la dotation pour l'ONJ à la hauteur de celles attribuées à l'Orchestre National de Montpellier (environ 25 millions d'euros par an).
- Par ailleurs, j'ai demandé au directeur de la Musique de trouver, dans les meilleurs délais, un lieu de résidence pérenne sur Paris intra-muros pour l'orchestre et son administration pour les raisons évidentes qui doivent accompagner le prestige lié à cette structure unique au monde et optimiser les conditions de travail de tous.
- Enfin, au vu de l'incroyable pépinière de talents au plan national, des richesses et diversités artistiques du jazz d'aujourd'hui en France, et de l'impact jamais démenti sur le public, tous ces éléments réunis œuvrant incontestablement pour l'intérêt général, je décide d'élargir le label ONJ à 10 grands orchestres actuellement en activité. 
C'est à ce moment qu'Andy me réveilla. Je l'en remercie encore car mon rêve allait tourner au cauchemar. En effet, l'étape suivante était la nomination d'une femme au poste de directeur artistique de l'ONJ. On l'a échappé belle."
Denis Badault (1991-1994)

L’esprit originel
"Les 10, 11 et 12 novembre 1994, les trois concerts d’ouverture à Paris. L’orchestre avait déjà joué une quinzaine fois, notamment au cours d’une tournée mémorable dans les pays de l’Est. Ces trois soirées se tenaient à l’Auditorium des Halles avec un thème et un répertoire différents chaque soir : compositions originales le 10, Miles Davis 68-75 le 11 et blues le 12. Le troisième soir était prévue une petite acrobatie. J’avais commandé à Marc Richard deux morceaux en hommage au jazz des années 1920. Il nous avait écrit deux magnifiques arrangements, dans cet esprit, dont un blues, avec banjo, batterie d’époque, tout ce qu’il faut pour que ça sonne de cette façon. Je savais que bon nombre de musiciens de l’orchestre étaient capables de jouer dans ce style et nous avions choisi la nomenclature en fonction de cette donnée. Ce n’était pas facile à jouer sur scène car l’instrumentation était différente (et de fait acoustique), mais je tenais à le faire au moins une fois. J’ai donc choisi cette troisième soirée parisienne dédiée au blues pour placer un des deux arrangements. Nous avons imaginé une petite mise en scène en vertu de laquelle, au milieu du morceau le plus électrique et violent au niveau des décibels, nous avons simulé une panne d’électricité, et en quelques secondes avons modifié le plateau et apporté les instruments adéquats. Sans laisser aux gens le temps de vraiment comprendre, les musiciens entamaient "Blues for Smack" de Marc Richard, dédié donc à "Smack", c’est-à-dire Fletcher Henderson. Et le public a marché complètement. Râlant d’abord sur l’inconséquence de l’équipe technique, puis comprenant le subterfuge… L’année suivante, nous avons enregistré les deux arrangements et je les ai placés en ouverture et clôture du premier opus de l’orchestre "Reminiscing". Pour moi, ce geste avait le sens d’un hommage à cette musique et à tous ceux qui l’on faite. C’était donc un moyen d’insister sur le mot "jazz" de Orchestre National de Jazz."
Laurent Cugny (1994-1997)

Le grand déménagement
"Début septembre 1997, je conduis la première répétition de mon orchestre aux Frigos (du Quai de la gare), la salle que la Ville de Paris met à disposition des grandes formations de jazz et, depuis quelque temps, de l’ONJ, qui dispose de bureaux attenants. Le lendemain matin, le téléphone sonne : incendie au Quai de la Gare ! Les instruments ont été sauvés de justesse, mais la salle de répétition est inutilisable. Par je ne sais plus quelles circonstances, on atterrit au Trabendo, dont l’état d’abandon aura nécessité un énergique nettoyage express. Le premier mois de répétitions s’en accommode. Après quoi, l’ONJ reprend sa vie nomade dans des studios de location, pendant que son administration s’installe dans la cité administrative de La Villette où elle est toujours."
Didier Levallet (1997-2000)

Ambiance rock’n'roll
"Février 2006, New Morning, concert de sortie de l'album "Close to Heaven", un tribute to Led Zeppelin. Lorsqu’on dirige l'ONJ, ce type d’événement est scruté par tout le milieu musical. Nous étions donc dans les starting-blocks. Le concert se déroule très bien, beaucoup de public, et je dois dire beau succès. Comme il est de coutume, à la fin du concert, les albums sont en vente et une séance de signature est organisée. À la fin de la soirée, je vois arriver cinq personnes dans les loges du New Morning pour me demander de signer cinq album et me poser la question pourquoi, moi, musicien de jazz, je fais un hommage à Led Zeppelin. "Parce que j’aime cette musique simplement." C’était le fan club officiel de Led Zep, ils avaient fait le voyage spécialement pour ce concert, et m’ont dit : "Finalement le jazz, c’est un peu rock'n'roll, non?".
Franck Tortiller (2005-2008)

Faux départ
"7 mars 2009. A L’Espace 1789 de Saint-Ouen, en ouverture de Banlieues Blues : ce ne fut pas la révolution mais l’apocalypse... L’orchestre, des talents exceptionnels mais qui ne se connaissaient pas encore (c'est alors leur deuxième concert), monte sur scène pour jouer le programme Broadway in Satin et là le naufrage ! Dès le début, le navire fuit de partout, chacun met toute son énergie à écoper. Rien n’y fait : c’est la noyade, le son est confus, sur scène comme dans la salle, générant contresens, instabilité, inquiétude et même colère d'une partie du public qui quittera la salle en grognant.
Évidemment, selon la loi de Murphy, ce fut le concert choisi par les médias, les institutions, « tout le monde » est là, comme on dit.  Au terme de ce moment de torture, un buffet, avec petits fours, champagne et canapés, la double punition : des regards de condoléances, l'orchestre est mort-né, tout le monde le pense, personne ne sait  que dire.
Dès le lendemain, tombent les commentaires qui ne nous ménageront pas, et ça durera un moment. Panique dans les bureaux, il fait laisser passer la tornade, toucher le fond et réagir, vite. Ce sera vingt jours plus tard, à Amiens : un directeur de festival qui aime les défis, dix musiciens au moral de guerriers apaches, deux ingénieurs du son survoltés,  nous malaxons , remixons le répertoire en trois heures… Et nous voilà sur scène : miracle, tout roule, l’orchestre est né, dans la douleur et sans péridurale ... Ce sera le point de départ, on ne descendra plus ! La musique c’est la vie, c’est s'autoriser le droit à l'erreur et réaliser la nécessité de grandir…"
Daniel Yvinec (2008-2013)

Paris, capitale initiale
"Décembre 2013, quelques mois après ma nomination, après m'être isolé à Menton pour écrire le projet "Paris", nous voici enfin réunis à La Dynamo de Banlieues Bleues, à Pantin. Les musiciens se découvrent et je découvre l'orchestre... Pour un premier déchiffrage de "Paris", premier volet du cycle "Europa", première ville que j'ai choisie comme une évidence, pour rendre hommage à celle qui m’a accueilli et me nourrit artistiquement depuis vingt ans. Première rencontre émouvante, je m'en souviens encore. Elle marque alors le début d'une aventure que nous vivrons ensemble durant quatre ans et demi. Nous nous retrouvons en janvier 2014 en résidence à Nantes, toujours pour préparer "Paris". Générale. Retour à Paris enfin. Concert inaugural le 1er février 2014 à l’ECAM, théâtre du Kremlin-Bicêtre, dans le cadre du festival Sons d’Hiver. Ça y est, l'orchestre est né. "Europa Paris" également."
Olivier Benoit (2014-présent)

—  Jacques Denis

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