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Coup de cœur

Laura Sauvage

"The Beautiful"

"The Beautiful". Surtout ne pas omettre les guillemets. Dans le bouche de Laura Sauvage, l’hymne patriotique américain ("America the Beautiful", poème écrit fin du 19ème siècle par Katharine Lee Bates sur une musique de Samuel A. Ward) finit en disque rayé ; il larsène et ne tourne plus rond, à l’image de la situation politique locale et du casse par Donald (le canardeur, pas le canard) de la Maison-Blanche. L’ère du white trash (crash ?) qui s’ouvre a poussé la songwriteuse montréalaise dans ses retranchements pour écrire des chroniques sociales et même une charge frontale contre le Président "psychopathe" ("Song for D.J.T."), dans lequel elle lui taille un costard XXL."Cet album a été écrit durant la campagne électorale, il est une réaction à cette séquence politique et aux conséquences à venir. Il parle de ce que vivent nos voisins américains et, par ricochet, de ce que nous autres Canadiens allons devoir supporter…"
Ex-guitariste-chanteuse des Hay Babies, un trio de filles pas très sages, Laura la Sauvage (Vivianne Roy de son vrai nom) avait déclaré qu’elle ne verserait jamais dans la chanson politique, plus encline à fouiller ses démons intérieurs qu’à taquiner les politiciens véreux. Changement de cap avec ce magnifique premier album (sorti fin septembre chez Roy Music), dans lequel elle mêle poésie et protest songs. "Money, power, money, power… J’étais gavée d’entendre toujours les mêmes gimmicks, sans autre vision de la société que de celle de faire du fric et d’écraser son voisin. J’avais également beaucoup de colère contre ce prédateur sexuel…" Le jour de la victoire de Trump, Laura était à en vacances à Vegas, parmi les zombies collés à leurs machines à sous. "Les écrans de télé géants vomissaient non stop le résultat, ça a été un coup de tonnerre. On nous balançait la pire des nouvelles dans l’indifférence générale", se rappelle-t-elle. Elle en a écrit une chanson, "Vegas", dans laquelle elle raconte la perte de soi face aux rêves de gains. Le mirage américain, au-delà des frontières du Nevada, qui prend une étrange résonance depuis la tuerie du 1er octobre.
Il a fallu encaisser le choc électoral, sociétal, pour accoucher d’un album qui donne à réfléchir, non à s’apitoyer sur son mauvais sort des quatre prochaines années. S’élever au-dessous de la mêlée et de la Trump Tower. Dans "You’re ugly when you cry", Laura tire la sonnette d’alarme : "Fais attention à ce que tu souhaites, cela pourrait bien arriver ! Il s’agit de se méfier de ses pensées nauséabondes, des colères qui peuvent être lourdes de conséquences…" Quand la parole libérée flirte avec le rejet, la stigmatisation, puis le lynchage.
Sous les coups de pinceaux rock de Laura, moins sauvage qu’auparavant, The Beautiful peut se passer de guillemets. La beauté est en effet au rendez-vous à travers les riffs garage de la rockeuse à diamants polis au vintage et les tapis de synthés analogiques, typées années 80, à l’image du titre "Alien (anything like it, have you ?)", où il est question d’ovnis qu’ils volent dans les étoiles ou à D.C. Ce qui est vérifiable, c’est qu’il s’agit là d’une nouvelle direction musicale chez celle qui a endossé, avec audace, les habits de réalisatrice. On connaissait Laura en pétroleuse rentre-dedans, balançant ses coups des griffes sur guitares Eko ou Fender Mustang ; la revoilà plus posée, "avec une touche féminine assumée" et des arrangements plus riches et fouillés que sur ses E.P. précédents, moins bruts de décoffrage. Même si la Sauvage garde le cuir bien tanné, à l’image de la pépite psyché-rock "Monkeys in Space", un pogo en apesanteur pour singes élevés à la taurine. Comme sur ce titre, la compositrice a glissé, de-ci, de là, quelques messages subliminaux. Sa réponse aux fake news.
Alternant les charges à la six-cordes électrique, électrisante, et les caresses de synthés ("j’ai utilisé un OP-1, un mini clavier numérique que je trimballe partout avec moi en tournée"), Viviane multiplie les ambiances (riffs rock garage et nappes électro-pop), les esthétiques (sons délicieusement salis aux couleurs psychédéliques des seventies et distorsions fracassantes) et, finalement, les visages. Féline et sauvage à la fois.

"The Beautiful" (Simone Records/Roy Music), déjà disponible

—  Youri

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