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Yves Jamait

Chroniques intemporelles

"Si on dessine la périphérie, on devine la ville..."

En pleine tournée de son dernier album, Je me souviens (Wagram), le chanteur-poète dijonnais s'attaque à la Salle Pleyel, le 13 mai, pour un nouveau tour de chant et des lendemains qui chantent.

Vous vous produisez le 13 mai prochain à la Salle Pleyel. Pourquoi avoir choisi cette salle plus réputée pour ces concerts de musique symphonique que pour les tours de chant ? On a l'impression qu'il s'agit de remettre la culture populaire au cœur des beaux quartiers, voire de "prendre la Bastille"...
Je ne me lève pas le matin en me disant : "Je veux jouer salle Pleyel". Les choses se passent heureusement différemment. Lorsque nous voulons jouer à Paris, une discussion s’ouvre entre le management, la production, d’autres protagonistes et moi-même, afin de trouver une salle adaptée à notre spectacle, nos envies et les réalités financières. La salle Pleyel ayant été évoquée, bien que n’étant pas parisien, j’en connais le prestige, j’ai donc dit oui de suite et je suis ravi de pouvoir me donner en spectacle dans ce lieu qu’on m’a décrit comme merveilleux. Et c’est moins une "prise de la Bastille" qu’une envie de découvrir, avec le public, des lieux de la capitale comme ce fut déjà le cas avec l’Olympia, la Cigale, le Casino de Paris, le Cabaret sauvage, le Grand Rex, l’Alhambra, mais aussi le Pan Piper, l’Européen, le Sentier des Halles, la Maroquinerie, le Limonaire etc. Il faut diversifier les plaisirs.

Quel est votre lien à ce lieu huppé de la culture, fréquenté par les CSP+, vous qui venez et avez souvent écrit sur le milieu ouvrier (et encore dans le titre "Bleu") ?
Il m’arrive effectivement d’écrire sur le milieu ouvrier, plus par connaissance de ce milieu, que pour en faire un créneau d’ailleurs. Je ne vois pas en quoi, sous prétexte d’origine populaire, le public n’aurait pas accès à ce genre de luxe. En culture, pas de surimi ! Tout le monde doit pouvoir avoir accès à de la langouste, non ?

Prévoyez-vous une mise en scène particulière pour ce concert, une sorte de "Bar à Jamait" avec divers invités (musiciens, humoristes) ?
C’est encore un peu tôt pour le dire mais il y aura probablement des invités et nous allons faire une fête comme jamais… heu, Jamait… Enfin là, c’est peut-être un peu mégalo…

Dans votre dernier album, Je me souviens, vous tournez autour des thématiques du temps et de la nostalgie. Qu'est-ce qui vous a donné envie d'ouvrir cette boîte à souvenirs ?
Pour être honnête, je pense que c’est le sixième album que j’écris sur cette thématique. Sauf que le temps qui passe, à quarante ans, n’est pas le même que celui qui file à cinquante, qui stagne à vingt ou qui commence à trente. Nous sommes coincés entre un passé et un avenir du premier pleur au dernier soupir, et l’appréciation que l’on se fait de cet état présent est différent au fur et à mesure que l’on avance vers le générique de fin. N’étant pas un sociologue, j’essaie, dans des petites chroniques chantées, d’en répertorier les joies et les aléas, en espérant l’empathie de mon contemporain.

Si la tonalité générale est assez mélancolique, d'une poésie "baudelairienne", vous ne tombez jamais dans l'écueil du "C’était mieux avant". Pourquoi ces flashbacks à ce moment ?
Il y a, je pense, une différence entre vivre avec son passé et vivre dans le passé. Le socle sur lequel nous sommes constitués dépend de ce que nous avons vécu. Ce que nous avons vécu nous a donc construits, ou déconstruits. La mémoire est donc primordiale pour se tenir debout présentement. C’est dans ce sens que j’utilise la mienne. Je trouve tout aussi ridicule de vivre dans le passé que de vivre dans le futur, seul le présent m’intéresse.

Dans "Le temps emporte tout", vous chroniquez une société désabusée, qui a tendance à zapper, à s'oublier ("Nos années de nuits somnifères/Nos journées de hiboux", "La jeunesse qui se désaltère sans trop craindre le loup"). Quel(s) événement(s) vous a (ont) inspiré cette chanson ?
J’ai passé une bonne partie de ma jeunesse dans un bar dijonnais, le café de l’Univers, situé dans la commune libre Berbisey, dont le slogan, emprunté à la Révolution française je crois, disait ceci : "Sans craindre ici le loup, l’agneau se désaltère". J’ai détourné la phrase pour en faire le vers que vous citez. "Le temps emporte tout" est une chronique sociale sous forme de souvenirs et je me sers effectivement des miens, entre autres, pour évoquer des sensations que j’espère universelles. Les premières strophes sont consacrées à l’enfance et les suivantes à la jeunesse, son insouciance et ses dérives. J’ai donc aisément trouvé quelques Kodac perso pour illustrer ses différentes phases. 

Toujours dans ce titre, vous brocardez "les révolutions esthétiques, nos opinions faciles" ? A quelles "révolutions esthétiques" pensez-vous ?
Il y a un esthétisme du révolutionnaire, j’en prends pour exemple le portrait du Che qu’on voit un peu partout et qu’on met à toutes les sauces. Il y a un tas d’autres exemples d’ailleurs… Je pense avoir été de ceux qui se sont fait séduire d’abord par ce genre d’image. J’étais sans doute un peu con, mais bon, j’essaie d’être indulgent à l’égard du jeune que j’étais…

Dans "Je me souviens", vous vous souvenez d'une histoire d'amour via de menus détails mais pas du personnage principal. Vous évoquez un "Alzheimer amoureux", c'est-à-dire ?
Voilà ! Justement, la mémoire, on y revient, sans elle plus rien n’existe. Dans cette chanson, le narrateur se souvient d’un tas de petits détails (ronds de verres sur la table, mouches crevées sur le tapis, une facture, un mégot, etc.), mais pas de l’être aimé. On ne sait pas pourquoi. Un drame peut-être… Ce qui est sûr, c’est que sa mémoire s’est effacée. Mais s’est-elle vraiment effacée ou serait-ce par déni ? Voilà la position inconfortable dans laquelle j’avais envie de mettre l’auditeur.

Est-ce finalement dans ces petits gestes, ces images accessoires que se révèle le principal ? La plume Yves Jamait, serait-ce une manière de raconter en creux, de suggérer plutôt que dire ou asséner ?
Oui, autrement dit, je pense que si on dessine la périphérie, on devine la ville…

"Une jeunesse à gâcher", "Notre existence alors sur une ardoise tenait", "J'ai le cœur à rebours qui se sert comme les poings de mon frère"... Dans l'émouvante chanson "Les poings de mon frère", vous "brisez les lois de la pudeur". Comment est née cette chanson ?
Du désir de parler de mon grand-frère, de notre relation qui a été parfois difficile mais toujours solide, et de la vie qui l’a consolidée. Des différences que la fraternité nous oblige parfois à affronter et des leçons qu’on en tire. Enfin, un peu tout ça, quoi…

Comme le mentionne le communiqué de presse, vous vous étonnez encore qu'on vous dépeigne en "gavroche à casquette attaché au musette". Comment expliquez-vous cette image, ce raccourci ?
Franchement, vous vous déplaceriez vous pour aller voir un "gavroche à casquette, attaché au musette" ? Ma casquette est irlandaise et j’ai dû faire cinq, six valses en six albums. Mais la caricature est tenace et il est difficile de lutter contre le manque de nuance que le monde médiatique impose. Du coup, je laisse faire et je m’en amuse en public lors de mes spectacles en leur demandant s’ils ont bien conscience d’être en train d’assister à un spectacle de "chanson néoréaliste à tendance musette", ce qui amuse beaucoup ceux qui viennent nous écouter. Finalement, les gens ne sont pas si dupes de ce que leur rapportent les médias, et c’est plutôt une bonne nouvelle, non ?

—  Ben

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