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Entretien

Hildebrandt

Drôle d'animal

Après douze ans passés au sein du groupe Coup d'Marron, le songwriter rochelais, poète minimaliste et plongeur en profondeurs, a choisi la voie en solo pour se tanner le cuir et s'est éloigné des rives de la chanson française pour verser dans les complaintes pop-électro. Avec "Les Animals" (At(H)ome), l'artiste félin porte un regard distancié sur les meutes humaines.

Pourquoi ce titre "Les Animals", du nom d’un album de Mano Solo, sorti en 2004. Est-ce un hommage ?
Non, franchement, j'avais oublié que j'avais ce disque dans ma discothèque, même si Mano Solo fait partie des artistes qui m'ont marqué, à une autre époque. Ce titre signifie qu'en plus d'être des humains, nous sommes aussi des animaux, et qu'il ne faut pas l'oublier...

C’est-à-dire ?
Assumer nos instincts, même les plus primaires, ne passe se planquer derrière des conventions, ne pas être prisonnier des morales, religieuses ou sociales... Je voulais simplement rappeler que nous sommes des animaux doués de conscience, et que cela pouvait parfois changer notre rapport aux autres.

C’est également le titre d’une chanson de l’album, très organique, tu y parles de sueur, de puanteur...
C'est vrai que dans mes chansons, j'aime parler de notre quotidien sans l'édulcorer, du fait qu'on sue, qu'on pue parfois, et que ce n'est pas forcément sale.

"Les Animals" est un disque très intimiste, tu le signes d'ailleurs de ton véritable nom de famille, Hildebrandt. Pourquoi ne pas avoir utilisé un pseudo ?
J'avais envie d'assumer mon histoire familiale...

Notamment ce nom hérité d'un père allemand qui a connu les regards en coin dans la région bordelaise, dans les années 60. "Une fracture" précises-tu dans ton communiqué de presse.
C'est un sentiment qui a accompagné mon père toute son enfance. Sans rentrer dans les détails, mon père a dû changer d'identité à l'âge de dix-neuf ans et a appris par hasard que son véritable nom était Friederich Hildebrandt. Il a dû assumer ce chamboulement identitaire tout en se faisant naturaliser français, alors qu'il avait toujours vécu dans ce pays. Bien qu'il soit taiseux, il a dû me transmettre cette histoire de manière inconsciente.

Ça m'évoque un étrange slogan anti-allemand de la Seconde Guerre mondiale : "Les doryphores, c’est la plaie des patates". Les Allemands étant assimilés à ces insectes nuisibles, les Français se qualifiaient donc de patates. Qu’est-ce que ça t’inspire ?
Je ne le connaissais pas... Le couple franco-allemand, c'est une longue histoire de haine entre voisins. Ce qui me frappe toujours, c'est le peu de distance que nous prenons pour examiner ces chapitres de l'histoire, que l'on ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Attention, je ne dis pas qu'il faut relativiser les horreurs survenues durant les guerres, mais réfléchir aux différences, aux haines, aux colères que l'on peut ressentir contre ses voisins.

Musicalement, tu explores les sonorités pop électro, bien plus que sur les disques précédents, réalisés avec le groupe Coup d'Marron, même si, comme tu le dis, tes vieux démons de la chanson française sont revenus au galop. Quelle était ta direction artistique ?
Aujourd'hui, avec un simple ordinateur, tu peux être un orchestre à toi tout seul. C'est dans l'ère du temps, et je suis comme tout le monde : je me laisse influencer par les modes actuelles, bonnes ou mauvaises. En faisant ces musiques un peu électro-pop, en assumant des réminiscences des années 80, tout en gardant des guitares, j'ai trouvé une manière simple et souple de m'exprimer, d'assumer à la fois ma volonté de légèreté et mes élans mélancoliques, rêveurs.

Cette dualité, c’est vraiment la patte Hildebrandt, que tu illustres en te racontant sans concession mais avec pudeur.
Sans en avoir toujours bien conscience, c'est vrai que je me dévoile pas mal, avec franchise, en espérant que ça fasse écho aux autres. Mais j'essaie de le faire avec le plus d'élégance possible, sans être orgueilleux. Le credo de cet album pourrait être : cheminer vers soi pour mieux se tourner vers les autres.

Dans le titre "Coup de caillou", tu écris "On s'endort quand on s'réveille". C’est-à-dire ?
Comme tu l'as remarqué, j'aime beaucoup les dualités, les oppositions. Dans cette chanson, il est question de rébellion, des peuples qui tentent de se soulever contre les puissants. Au-delà de prendre les armes, qu'est-ce qu'un acte de résistance ? Je voulais signifier que la rébellion, tout comme la soumission, est toute relative, qu'on se fait, ou laisse, parfois manipuler en pensant s'opposer. Bref, on ne sait pas trop de quelle manière un peuple va se soulever, ni quand ça va exploser.

Quel événement t’a inspiré cette charge non frontale "A quoi tu France", dans laquelle tu écris : "C’est la guerre ou l'entretien / Sous la chair, lâchez les chiens" ?
J'ai écrit cette chanson en réaction au climat actuel et nauséabond sur le rejet des immigrés, des étrangers, à ces gens qui se jettent dans les bras de l'extrême-droite, qui ont la mémoire courte vis-à-vis des hommes que la France a appelés comme main-d'œuvre et qu'on regarde d'un sale œil aujourd'hui...

Toujours au sujet de l’identité, ta bio précise que c'est durant tes études d’anglais à Birmingham que tu t’es lancé dans l’écriture en français. C’est pour le moins paradoxal...
J'ai toujours été très proche de la culture anglo-saxonne car j'ai de la famille en Angleterre, je suis d'ailleurs venu à la musique par les Beatles. Je suis parti à Birmingham à l'âge de vingt ans pour vivre en immersion, et une fois sur place, je me suis posé beaucoup de questions sur ce qu'était être français, questionné sur ma culture, celle des Anglais, ces voisins proches. La langue constitue le premier ciment d'une communauté. C'est à ce moment que j'ai commencé à écouter de la chanson française - un ami m'a fait découvrir Brassens par exemple - et que je me suis pris l'envie d'écrire en pleine poire. Avant, je pensais que l'écriture était un domaine réservé aux intellectuels, que ce n'était pas pour moi...

En 2007, tu as exploré le monde du cirque en créant un clown burlesque, Lili Brandt, au sein du groupe Rock A Lili Cabaret. Pourquoi cette parenthèse dans ta carrière de musicien ?
A l'époque, je jouais au sein de Coup d'Marron, mais j'avais aussi envie de fouiller une forme artistique plus exubérante, plus expressionniste, j'avais des envies de maquillage (rire). J'avais un cercle d'amis qui travaillaient dans le cirque et donc, naturellement, j'ai créé ce clown fantasque, inspiré de groupes anglais comme les Tiger Lillies (un trio musical londonien, figure du "Dark cabaret", une fusion de burlesque, de musical-hall et d'humour noir, ndlr). J'ai vécu la vie de cirque avec une troupe d'une douzaine de personnes, je donnais des représentations sous un chapiteau, ma femme faisait les lumières, notre bébé dormait en caravane... Une expérience fantastique !

Un article à retrouver dans notre magazine d'octobre.

—  Ben

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