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Disque

Laura Sauvage

Ordinormal

Capitaine Fracasse

On l'imagine en "Riot Girrrl", battre les pavés en tambourinant ses gamelles en pleine manifestation estudiantine québécoise, en 2012, au slogan de "Les casseroles sur le feu, les bimbos au milieu", avant de filer mettre le feu aux Foufounes Electriques, le fameux club électrorock de Montréal. "Une Riot Girrrl? Non, je me considère comme une chick canadienne qui fait de la musique pour tripper", balaie la sauvageonne de 24 ans "pourrie de talent", dixit nos cousins acadiens, qui a biberonné les rock bands féminins des années 90 et la scène indie-folk américaine, roulant au son des Bratmobile, Smashing Pumpkins et rêvant de parties de Beck. Un bébé PJ Harvey qui a dû, lui aussi, se péter quelques aigus dans le berceau. Voix d'outre-tombe pour mélopées mid-tempo, la contralto contre-attaque à grands coups de guitares cinglantes et de refrains coups de poing rock garage. Le rock n'est pas mort, il a juste fait un crochet en ski-doo du côté de Rogersville, dans le Nouveau-Brunswick natal de Vivianne Roy. Ex-guitariste et banjoïste des Hay Babies, un trio de filles pas très sages, Laura en solo -"Les filles ont ouvert un magasin de linge vintage à Moncton, OK My Dear, pendant que j'enregistrais mes chansons de chambres d'hôtel avec Dany Placard (compositeur et réalisateur québécois, ndlr)" - s'est imposée comme la révélation de la scène indé canadienne depuis la sortie de son premier album, Extraordinormal, en mars 2015.

"Fuck le numérique de marde !"

Pas franchement subversive, la Sauvage est irrévérencieuse et pas du style à s'ostiner avec des niaiseux. Elle trace son sillon, les doigts sur les potards de ses guitares. Faut que ça crache dans les amplis et que ça titille dans les écrits, souvent sarcastiques, à l'image du titre "Nothing to something & Vice versa", dans lequel Laura épingle l'individualisme ambiant ("Nous sommes un / Mais quel type de groupe for-mons-nous / Blues égoïste recouvert de goudron"). Une blonde de la télé canadienne l'a cataloguée "grunge féminin" car la demoiselle porte des chemises à carreaux, une casquette de pilote d'avion et "trippe" sur les objets vintage - "Ma sœur, mon frère et moi, nous jouions avec les jouets de ma mère quand nous étions enfants, on a écouté ses vieux vinyles. Ce n'est pas parce que quelque chose est vintage que je l'aime, c'est parce que j'ai grandi avec et que la qualité est souvent meilleure. Fuck le numérique de marde !". En somme, une gamine "ordinormal" (du nom de son premier album E.P. distribué en France à partir du 24 février), sortie plus ou moins indemne de la crise d'adolescence à en croire les interrogations de la Mireille Dumas québécoise. "Ordinormal, c'est comme "extra régulier". L'album ne réinvente pas la roue, c'est un trip de band. Les titres ont vu le jour lors de matins normaux en buvant mon café et d'autres choses." Malgré son jeune âge, celle qui se rêve productrice-réalisatrice a une vision très précise de ses textures sonores. Epaulée de Dany Placard, elle a poli ses guitares, crunchy et salies à souhait, comme dans la complainte aux couplets entêtants "You've Changed", soutenue par sa vieille six-cordes Guild Slim Jim et sa voix au premier plan. Pas de fla-fla, pas de blabla, féline et sauvage à la fois, Laura Sauvage n'a rien d'ordinaire.
Sortie E.P. Ordinormal (Simone Records) le 24 février

—  Milo Green

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